Attention ça glisse. [PV Sakari Tala]

Je marchais dans la forêt, abattu. Je suis mort, c’est une réalité qui n’est pas prête de changer. Il m’a fallu quand même rencontrer deux congénères pour accepter celle-ci. En même temps, ce n’est pas plus mal comme ça. C’est comme si j’étais vivant sauf qu’il n’y a plus de bipèdes et que j’ai une espèce de lame qui sort parfois de mon chanfrein. Ça c’est moins bien mais pas plus mal, au cas où on m’attaquerait. Un bruit ou plutôt un son continu me sortit de ma rêverie. J’étais au beau milieu d’une jungle luisante. J’avançai encore un peu au milieu de la végétation luxuriante… Et faillis tomber dans l’eau. Devant moi, des cascades immenses se jetaient dans un lac aux eaux bouillonnantes. De la brume s’élevait à l’endroit d’impact. Un arc-en-ciel se formait au milieu des eaux grondantes qui s’écoulaient ensuite dans une rivière - à débit rapide d’après moi. C’était un paysage magnifique. Des oiseaux volaient en tout sens ; ils avaient fait leurs nids derrière la cascade principale, dans la paroi. Je baissai la tête, fixant les fonds sombres de ces eaux agités. Il ne faudrait pas tomber là-dedans, ce serait la noyade presque assurée. De l’écume se formait au pied du rocher où j’étais posté.
Ce lac n’avait pas de rives, il était tout de suite profond. Et pour un équidé, ce serait difficile de s’en extirper sans parler du courant.
Je m’ébrouai pour me changer les idées et m’approchai de l’eau pour boire un peu. Comme partout en ce monde à mon avis, l’eau était délicieuse et fraîche. Surtout pour quelqu’un d’assoiffé comme moi. Après m’être désaltéré, je décidai d’aller jeter un œil vers la cascade. Je marchai avec précaution sur le sol glissant, prenant garde où je mettais les sabots.
Le grondement de la cascade s’amplifia lorsque je m’approchai. Il devint bientôt assourdissant. Un passage en pierre se dirigeait sous la cascade, je décidai de le suivre. Manquant de tomber, je ralentis ma progression et arrivai sous la cascade. Le rideau d’eau principal me masquait la vue sur le lac mais en quelques minutes j’étais trempé à cause de la brume et des filets d'eau coulant de la paroi.
Rafraîchi, je repartis vers mon poste d’observation au petit trot. L’eau et le soleil faisait briller ma robe noire. Revenu sur le rocher, j’observais mon reflet tremblant. Avec dépit, je vis que la pelote blanche sur mon front n’était plus la seule chose qui tranchait sur ma robe noire. La marque argentée en forme de griffe sur ma joue brillait toujours. Elle était là depuis que je m'étais réveillé en ce monde étrange.
Je détournais les yeux en soupirant. Non je n’étais plus le même. Je n’étais plus le cheval que ses maîtres avaient tué. Non à présent, j’étais différent, comme tous ceux qui vivaient ici.