Kaïa. Juste Kaïa.

Ombrageux. Depuis que Kaïa est morte, elle est aigrie. Elle n'aime personne. Elle ne veut pas être là. Elle ne veut pas être morte, refuse cette idée. Jamais elle ne s'inclinera. Elle renvoie tout le monde qui cherche à lui parler, la flamme qui animait ses yeux s'est totalement éteinte. Ou ne subsiste que quelques braises, que seule une vraie confiance pourra ranimer. Un seul éclair de compassion devant sa détresse, et elle ne loupe pas. Pas de compassion, c'est dit. Juste de la solitude, la souffrance d'avoir tout perdu, et des larmes. Pas de gentillesse. Personne ne peut comprendre son bonheur perdu, personne. Alors, elle se mure dans le silence. Ou adresse quelques mots. Jamais plus.

« Je vous hai. À reconstruire votre vie, cette vie que vous oubliez, comment pouvez-vous ? Comment osez-vous ? Jamais, jamais je n'aurai votre insouciance, jamais. Le pire, c'est que je suis coincée ici pendant .. Pendant bien trop longtemps. Jamais je ne m'y habituerai. Laissez-moi seule avec mon chagrin, puisqu'il ne me reste rien d'autre. »

Une seconde heureuse chez elle, celle d'après, un hennissement de terreur. Elle sait qu'elle n'a aucune chance. Elle est seule, coincée dans le recoin de rocher qu'elle est allée explorer. Elle se maudit, et décide de tout faire pour survivre. À quoi bon mourir quand on a une chance de survivre ? Elle tourne en rond, attend le moment fatidique où elle va payer pour son erreur. Payer très cher. Le loup qui se dresse devant elle est noir. Il est accompagné par un autre loup. Blanc. Deux êtres incolores, contre une vraie petite flamme. La peur lui fait percevoir la moindre chose, le moindre son, le moindre mouvement avec une acuité nouvelle. La peur. Un goût âcre comme la fumée. Amère comme la défaite. Une drôle de sensation. Un liquide glacé qui fait bondir notre cœur et qui se propage partout dans notre corps. Une sensation insupportable. Chaque seconde paraît être des heures. Kaïa se demande quand est-ce que cette attente va enfin se terminer.

Dans un ensemble parfait, les deux loups fondent sur elle. Un éclair noir, un éclair blanc. Deux morsures, brûlantes. Le sang chaud qui s'écoule. Kaïa hurle. Elle hurle sa douleur, elle hurle son incompréhension. Pourquoi elle ? Qu'est-ce qu'elle a fait de mal ? Pourquoi doit -elle quitter ce qu'elle aime le plus ? Elle hurle sa rage, sa rage de ne pas avoir profité de la vie. Les larmes coulent, plus douloureuses que les morsures. D'un coup vigoureux, elle repousse ses assaillants, vidant ses dernières forces. Cela fait plusieurs heures qu'elle tient, ou peut-être plus, elle n'arrive pas à compter. Le sang coule plus abondamment que jamais. Elle saigne, saigne de partout. Les morsures se multiplient. Elle adresse un adieu silencieux à sa vie, à ses amis, aux lieux qu'elle a toujours connu et foulé. Ses yeux se ferment .. Et elle se laisse emporter, ses larmes salées se mêlant à son sang. Le goût est amer, la colère domine. Plus rien ne sera jamais pareil.